Les habitants de Plainfield, dans le Wisconsin, pensaient avoir affaire à un fermier discret. Ils ignoraient qu’Ed Gein allait devenir l’un des criminels les plus glaçants du XXe siècle. C’est cette figure trouble, surnommée “le Boucher de Plainfield”, que Ryan Murphy a choisi de remettre en lumière dans la nouvelle saison de Monster, disponible depuis le 3 octobre sur Netflix.
Charlie Hunnam y campe un Ed dérangeant à souhait, dont les crimes ont inspiré certains des plus grands classiques du cinéma d’horreur : Psychose, Massacre à la tronçonneuse ou encore Le Silence des agneaux. Ryan Murphy résume bien le paradoxe du personnage :
« C’est probablement l’un des hommes les plus influents du siècle dernier, et pourtant, personne ne le connaît vraiment ».
Mais contrairement à Dahmer, cette nouvelle saison ne cherche pas à coller à la réalité. Ryan Murphy s’autorise ici de larges libertés, préférant montrer ce que Gein a inspiré sur grand écran plutôt que ce qu’il a réellement fait. On fait le point !
Ed Gein déterrait-il des cadavres ?
Oui. Et souvent. Le tueur surveillait les avis de décès pour repérer les femmes récemment enterrées, avant d’exhumer leurs corps en pleine nuit. Selon ses aveux, il ne volait que “certaines parties” — parfois une tête, parfois un corps entier.
La presse de l’époque évoque une quarantaine de visites dans des cimetières et neuf exhumations confirmées. La plupart de ses “prélèvements” provenaient de tombes proches de celle de sa mère, Augusta, figure centrale de ses obsessions.
Ed Gein était-il marié avec Adeline ?
C’est là que Netflix prend ses plus grandes libertés. Dans la série, Ed Gein tombe amoureux d’Adeline, une jeune femme du village qu’il finit par demander en mariage. Elle découvre ensuite les cadavres dans sa ferme.
Ed Gein n’a jamais eu de petite amie, n’a jamais été fiancé ni marié, et n’a jamais évoqué Adeline dans ses interrogatoires. Le personnage d’Adeline s’inspire d’une véritable femme de Plainfield. Elle a bien connu Ed Gein, mais elle a toujours nié avoir entretenu la moindre relation amoureuse avec lui.
Une invention scénaristique assumée par Ryan Murphy, destinée à “humaniser” un tueur dont la solitude ne laissait guère de place à la romance. De l’art de rendre le monstre un peu plus humain… quitte à trahir les faits.
A-t-il fabriqué des masques en peau humaine ?
Malheureusement, oui. Lors de la perquisition de 1957, les enquêteurs découvrent un véritable cauchemar : masques et vêtements confectionnés à partir de peau humaine, crânes transformés en bols, mobilier recouvert de chair tannée…
Cette macabre “collection” est le reflet de son rapport trouble à sa mère, qu’il vénérait autant qu’il craignait. Pour “devenir comme elle”, Ed Gein aurait façonné un costume de femme à partir de cadavres. Une scène que la série de Ryan Murphy restitue fidèlement.
Ed Gein était-il cannibale ou nécrophile ?
Non, même si la série laisse planer le doute. Aussi monstrueux qu’il fût, Ed Gein n’a jamais mangé ses victimes, et rien ne prouve qu’il ait eu de relations sexuelles avec des cadavres. Les journalistes du TIME et d’A&E rapportent qu’il utilisait les corps à des fins “décoratives” ou rituelles, fabrication de masques, d’objets, ou de vêtements, mais jamais alimentaires.
Lors de ses aveux, Ed Gein aurait expliqué qu’il ne pouvait pas “avoir de relations avec les corps, car ils sentaient trop mauvais”. Autrement dit, aucun acte de cannibalisme ou de nécrophilie n’a été confirmé. Contrairement à ce que montre la série, le “Boucher de Plainfield” n’aurait donc pas franchi cette limite, aussi sordides que soient déjà ses crimes.
Combien de personnes a-t-il tuées ?
Deux… du moins officiellement. Mary Hogan, tenancière de bar, en 1954. Puis Bernice Worden, propriétaire d’un magasin de quincaillerie, trois ans plus tard. Les enquêteurs ont longtemps suspecté Ed Gein d’autres disparitions dans la région, mais il a passé le détecteur de mensonges haut la main, comme montré dans la série, qui fait d'ailleurs un hommage à Mindhunter.
A-t-il tué des membres de sa famille ?
La série montre Ed tuant son frère Henry. En réalité, rien ne permet de l’affirmer avec certitude. Henry Gein est mort en 1944 lors d’un incendie suspect, alors qu’il aidait Ed à brûler de la végétation autour de leur ferme.
Lorsque les secours arrivent, c’est Ed lui-même qui les conduit directement jusqu’au corps, retrouvé face contre terre, sans trace de brûlure. Les autorités concluent à une mort accidentelle par asphyxie, mais cette version a toujours suscité le doute, d’autant qu’Henry envisageait de quitter la ferme familiale et de se marier, rompant ainsi avec l’emprise de leur mère Augusta.
Un an plus tard, cette dernière succombe à une attaque cérébrale. Un choc psychologique pour Eddie qui marquera le véritable basculement dans sa folie.
Est-il vraiment mort dans un hôpital psychiatrique sans jamais avoir été jugé ?
Pas tout à fait. Dans la série, Ed Gein semble finir ses jours interné, sans jamais avoir eu affaire à la justice. En réalité, il a bel et bien été jugé, même si son procès a pris du temps. Arrêté en 1957, il est d’abord déclaré inapte à comparaître à cause de troubles mentaux graves et envoyé au Central State Hospital for the Criminally Insane, à Waupun. Ce n’est qu’en 1968 qu’un psychiatre le juge apte à passer devant le tribunal.
Reconnu coupable du meurtre de Bernice Worden, mais irresponsable de ses actes pour cause de folie, Ed Gein n’a donc pas été condamné à la prison, mais à un internement à vie dans un hôpital psychiatrique. Il restera un patient modèle pendant des années, jusqu’à sa mort en 1984, au Mendota Mental Health Institute de Madison, des suites d’un cancer.
Et pour répondre à la question qu’on se pose tous : oui, Ed Gein avait été diagnostiqué schizophrène par plusieurs experts, comme évoqué dans la série.
Et la scène de la tronçonneuse ?
Pure invention. Dans Monstre, Ed Gein abat deux chasseurs à la tronçonneuse, dans une séquence ultra-sanglante qui semble tout droit sortie d’un slasher des années 1970. Une scène marquante, mais sans aucun fondement historique. Dans la réalité, Ed Gein n’a jamais utilisé de tronçonneuse. Ses deux victimes connues — Mary Hogan et Bernice Worden — ont toutes deux été tuées par balle, et non découpées comme le suggère la série.
Ryan Murphy ne cherche pas ici à coller aux faits, mais plutôt à filmer la légende qu’Ed Gein a inspirée. Cette séquence sert avant tout à rappeler comment son histoire a nourri l’imaginaire du cinéma d’horreur, en particulier Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.
En somme, cette scène ne raconte pas ce qu’Ed Gein a fait, mais ce qu’il a déclenché : la naissance d’un mythe de l’horreur.
Ed Gein a-t-il vraiment tué une baby-sitter ?
Non, tout cela est une invention. Dans la série, Ed Gein devient baby-sitter pour prouver à Adeline qu’il pourrait être un bon père. Il garde deux enfants, tente maladroitement de les amuser… avant de les terroriser en leur montrant un doigt coupé puis en enfilant son masque de peau.
Dans la réalité, Ed Gein n’a jamais gardé d’enfants, ni cherché à le faire. L’homme vivait seul, reclus dans sa ferme de Plainfield et avait assez peu de contact avec des familles du voisinage.
Cette intrigue trouve son origine dans un fait divers réel : la disparition d’Evelyn Hartley, 14 ans, en 1953, alors qu’elle faisait du baby-sitting à La Crosse, dans le Wisconsin.
Parce qu’il se trouvait dans la région à cette période, Ed a brièvement été considéré comme suspect. Mais il a nié toute implication, passé avec succès deux tests au détecteur de mensonges, et aucun lien n’a jamais été établi entre lui et l’affaire. En 1957, la police a officiellement écarté Ed Gein du dossier. Netflix a donc choisi de fusionner ces deux histoires — celle du tueur et celle de la jeune disparue — pour nourrir la fiction.
Ed Gein a-t-il vraiment été interrogé par le FBI à la fin de sa vie ?
Non, cette scène est une invention complète. Dans le dernier épisode de la série, on voit un Ed Gein vieillissant, interné, interrogé par le FBI au sujet d’un tueur qui s’en prend à de jeunes femmes — Ted Bundy. Mais dans la réalité, rien de tout cela n’a jamais eu lieu.
Quand le FBI commence à profiler les tueurs en série dans les années 1970 — notamment via la Behavioral Science Unit — Ed Gein est déjà institutionnalisé depuis plus de quinze ans, loin du monde extérieur. Il n’a jamais été consulté, interrogé ou approché par les enquêteurs fédéraux.
Les seuls entretiens connus avec Ed Gein remontent à 1957–1958, juste après son arrestation, menés non pas par le FBI, mais par la police du Wisconsin. Ces enregistrements, remis au goût du jour dans le documentaire Psycho: The Lost Tapes of Ed Gein, ont d’ailleurs servi de base à Charlie Hunnam pour composer son rôle : timbre de voix, débit hésitant, calme glaçant… une méthode proche de celle d’Evan Peters pour incarner Jeffrey Dahmer.
Cette scène d’interrogatoire n’est donc pas là pour raconter un fait réel, mais pour rendre hommage à la série Mindhunter, également produite par Netflix et David Fincher. Dans Mindhunter, les premiers agents du FBI développaient la psychologie criminelle en interrogeant des tueurs en série comme Ed Kemper — un travail de pionniers que la plateforme avait brutalement interrompu après la saison 2. En revisitant cette scène imaginaire, Monster semble boucler la boucle : une façon pour Ryan Murphy de saluer la série culte que Netflix a enterrée trop tôt.